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[ 13 juin 2019 by dpge_admin 0 Comments ]

A propos du pétrole du Sénégal

Si du point de vue communicationnel, l’affaire BBC sur les contrats de partage de productions pétrolières et gazières sénégalaises aura été retentissante au point de provoquer une secousse dans la République, laissant ainsi pantois les Sénégalais, il y a lieu de s’interroger sur les conséquences de droit par-delà les postures émotionnelle, confessionnelle, fraternelle ou même confraternelle adoptées depuis la publication de ce reportage.

La production pétrolière et gazière découle de deux phases. La première est la phase de l’exploration. Elle obéit à une procédure, depuis l’octroi du permis communément appelé “Permis H”, et se traduit par un éventail de mesures telles que la prospection, l’exploration. La deuxième est la phase de la découverte qui est le préalable à une série d’opérations, jusqu’à la production.

Dans ces différentes phases précitées, des moyens financiers et infrastructurels conséquents, ainsi qu’une expertise avérée sont indispensables. Malheureusement, ces instruments ne sont pas du reste, à la portée des pays en développement. D’où le recours systématique aux opérateurs ou sociétés de droit privé étranger.

Sur le permis octroyé à M. Frank Timis

Ainsi dans le cas du pétrole sénégalais, “il y a de l’eau dans le gaz” et “de l’orage dans l’air”. Le permis H avait été octroyé à Frank Timis. Un homme d’affaires australo-roumain supposé sulfureux, ne remplissant pas les conditions techniques et financières et apparaissant comme un courtier qui a fait du business en cédant ses droits à 250 millions de dollars (147 milliards de francs Cfa) à une société étrangère très connue dans ce domaine qui se trouve être BP. Laquelle déclare à travers son représentant à la suite des révélations de la BBC, posséder un contrat confidentiel avec M. Frank Timis.

En France, le titulaire du permis de recherche est le seul à pouvoir obtenir le permis d’exploitation (article 26 du code minier de la loi du 15 juillet 1994), lequel permis est octroyé par simple arrêté ministériel. Au Sénégal, le permis octroyé à M. Timis l’aura été suivant les dispositions de la loi du 8 janvier 1998 portant code pétrolier et le décret y relatif (6 octobre 1998).

À la lumière de ces dispositions législatives et règlementaires, M. Frank Timis devait justifier de ses capacités techniques et financières, de ses statuts, de son bilan, etc. (art 8 dudit décret). A l’issue de toute une procédure, l’avis conforme du ministre des Finances est requis pour la convention ou contrat de recherche. Par conséquent, il y a eu soit une négligence soit un dysfonctionnement dans l’octroi à M. Frank Timis du permis H, puisque comme le laisse entendre certains, ce dernier n’avait ni la capacité technique encore moins financière.

L’imputabilité d’une telle faute, le cas échéant, est à rechercher du côté du ministre qui a délivré ou qui a soumis le permis au président de la République, lequel me semble être un grand patriote que j’ai eu l’honneur de rencontrer avec une délégation d’un groupe français le 19 avril 2019.

Sur les royalties

Pendant la phase de pré-production, deux options sont possibles. La première option, c’est quand la société étrangère possède la totalité de la production pétrolière et, en retour, a l’obligation de payer certaines rémunérations à l’État ou une société créée à cet effet. Ces rémunérations se présentent sous la forme de “royalties” ou loyers contenus dans le contrat de la concession. La deuxième option, c’est quand la production est divisée entre les deux parties, selon un pourcentage déterminé par le contrat, c’est ce qu’on appelle le “contrat de partage de production” qui est d’ailleurs le cas du contrat entre le gouvernement du Sénégal et ses partenaires.

Alors comment comprendre le versement de royalties à Frank Timis comme le révèle la BBC ? Puisqu’on n’est pas dans une situation de contrat de concession mais plutôt d’un contrat de partage de production, il s’agit de deux régimes juridiques différents. Si royalties devaient y avoir, elles seraient versées au profit du gouvernement du Sénégal puisque les royalties en question sont les paiements exprimés en pourcentage des volumes de pétrole qui sont produits par les contrats, dans le cadre des contrats de concession et sont payées au propriétaire des ressources naturelles.

Alors à qui appartiennent ces ressources ? À M. Frank Timis ou à l’État du Sénégal. Dans l’absolu, si BP et Frank Timis, au travers des stipulations contractuelles prévoient de telles royalties dans une proportion supérieure ou inférieure à ce que prétend le reportage de BBC, il y a manifestement une menace contre les intérêts du Sénégal parce que tout simplement comme le dit l’adage : “qui peut le plus peut le moins”. Par conséquent, nécessairement, le gouvernement doit renégocier le contrat de partage de production parce que le contrat entre BP et Timis corporation a été scellé au mépris des intérêt du Sénégal.

Sur le principe de la confidentialité

Nonobstant le fait que du point de vue fiscal, l’opération en question est imposable selon les conventions fiscales en vigueur et selon qu’elle est imposable au Sénégal ou encore selon la domiciliation fiscale des sociétés en cause, il est susceptible de faire nourrir une inquiétude parce qu’en matière du droit pétrolier ou gazier, on ne peut nullement opposer à un État souverain disposant ses propres ressources naturelles le principe de confidentialité. En l’occurrence, cette déclaration du directeur de BP Sénégal, suscite une curiosité juridique sur les conditions dans lesquelles la cession de ces droits avaient été opérée.

En tout état de cause, le gouvernement du Sénégal avait la possibilité légale de s’opposer à la cession ou d’exercer son agrément ou encore de faire prévaloir son droit de préemption. S’il est légitime qu’une cession de contrats peut être valablement effectuée par deux sociétés privées, il n’en demeure pas moins que toute cession n’est pas en soi exempte de tout contrôle ou de toute intervention de la part d’un tiers. C’est toute l’interrogation de notre présente contribution.

L’objet de cette cession relève d’une ressource naturelle d’un État, et à ce propos, contrairement aux déclarations émises par des profanes qui soutiennent orbi et urbi que l’État n’a aucun intérêt dans un contrat émis par deux sociétés étrangères sur ses propres ressources internes, il n’est nullement besoin de rappeler que les ressources naturelles d’un pays tels que le pétrole et le gaz sont du domaine naturel de la souveraineté des États, ce qui implique que ceux-ci disposent juridiquement du pouvoir d’organiser librement les modalités de sa jouissance, de procéder unilatéralement à son organisation, y compris indépendamment des dispositions contractuelles contraires.

Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (1803, 626, 2158) attestent et rappellent ce principe de souveraineté.

L’État qui possède du pétrole ou du gaz dans sa zone de souveraineté a même la possibilité d’exproprier ou de nationaliser. C’était le cas dans l’affaire de la compagnie pétrolière Texaco contre le gouvernement libyen, l’arbitre a reconnu que le droit d’un État hôte de nationaliser est un principe incontestable du droit international coutumier. Par conséquent, le dirigeant de BP, ne peut nullement opposer au gouvernement du Sénégal le principe de confidentialité et dans tous les cas de figure, le Sénégal a un droit de s’opposer à la cession ou d’exercer son agrément. Sous ce rapport, on aurait même dû négocier directement avec BP.

Tirer avantage des révélations de la BBC

Dans le cadre du contrat de concession entre l’État du Sénégal et BP, il y a aussi un éventail de mesures permettant à la puissance publique de tirer avantage de cette révélation de la BBC en procédant à une révision du contrat, et ce, par plusieurs techniques contractuelles susceptibles d’être opérées. Quand bien même un contrat de partage de production est déjà conclu entre BP et l’État du Sénégal, et que celui-ci soit sécurisé juridiquement en principe par les clauses de stabilité permettant de parer à une série d’actes juridiques ou administratifs postérieurs à la conclusion du lex petrolia, le gouvernement du Sénégal dispose, à travers la théorie de l’improvisions ou la clause de hardship, de mécanismes permettant d’inviter BP à une table de renégociation.

La clause de hardship est une clause qui permet à une partie de revoir son contrat lorsqu’un changement de circonstances modifie fondamentalement l’équilibre financier de celui-ci. Cette clause obligerait les parties à se rencontrer et à négocier. En cas d’échec, le juge arbitral certainement pourrait intervenir pour réaliser le rééquilibrage. C’était le cas de la convention de concession entre l’État du Koweit et la société American independent Oil company du 28 juin 1948.

En d’autres termes, les cocontractants, s’ils peuvent logiquement prévoir les bouleversements qui porteront atteinte à leurs droits, ils ne peuvent prévoir leur gravité dans le temps, ni dans leurs formes. La clause de renégociation ou hardship a rarement été soumise à l’arbitrage international mais, juridiquement, elle est valable.

Deux affaires célèbres ont été soumises à l’arbitrage international. L’une portait sur la concession pétrolière liant l’État du Koweït à la compagnie Aminoil, l’autre était relative au contrat entre l’Iran et la compagnie Questech Inc. Le premier recours se fondait sur une clause de hardship remarquablement incluse dans le contrat. Pour le second, le tribunal arbitral a considéré et reconnu la doctrine du changement de situation (hardship) comme principe général du droit.

Cette possibilité a été confirmée par la CCI à l’occasion de sa sentence prononcée en 1987 et par l’OPEP à travers sa résolution 16.90 de l’OPEP du 24 au 25 juin 1968. C’est la raison pour laquelle, même si en matière de contrat pétrolier ou gazier le principe de Pacta sunt servanda (Les conventions doivent être respectées, en latin) revêt toute son importance, procurant ainsi aux cocontractants la sécurité contractuelle contre toute modification unilatérale, il reste toute même un procédé s’inspirant du principe Clausula rebus sic stantibus (Les choses demeurant en l’état, en latin) qui implique une exception à l’intangibilité du contrat par le système de mutabilité contractuelle. Laquelle peut constituer une exigence de justice alors que l’application stricte du contrat peut entraîner un abus de droit.

Appeler BP à la table de renégociation

Maintenant, à travers ce principe reconnu par l’Unidroit, on peut légitimement se demander si c’est dans la déclaration du dirigeant de BP, qu’il faut chercher les moyens juridiques de renégocier le contrat de partage de production afin que le Sénégal puisse en tirer plus d’avantages financiers.

Le débat fait rage dans les médias, mais l’importance dans cette situation est pour le Sénégal d’appeler BP à la table de négociation, sachant que ni le contrat de la compagnie britannique, avec Frank Timis ou Timis corporation, ou sa confidentialité ne saurait lui être opposé en vertu du droit international privé, public et coutumier. D’ailleurs, BP est une société de droit anglais et fort heureusement, le droit anglais reconnait implicitement la doctrine de la Frustration of purpose (Frustration de la raison) ou Contract frustation (Contrat de frustration).

Ainsi, nous recommandons au gouvernement du Sénégal d’ouvrir une enquête impartiale pour lever toute équivoque, il y va de l’honneur du président de la République et de son gouvernement. A défaut, la justice étrangère, surtout américaine, pourra se déclarer compétente.

Nous recommandons aussi de réunir les experts sénégalais en la matière afin de créer un comité scientifique chargé d’apporter les conseils nécessaires au gouvernement du Sénégal au lieu de réunir une instance telle que le Cos-pétrogaz qui a l’allure d’une instance politique, budgétivore dont l’utilité serait manifestement limitée face aux géants cabinets d’avocats anglo-saxons qui n’hésiteront aucunement à ficeler des contrats aux intérêts exclusifs de leurs clients et en défaveur du gouvernement du Sénégal.

Dans une précédente contribution parue en 2016, j’avais énuméré un certain nombre de risques inhérents à de telles exploitations mais j’avoue être très surpris du reportage de la BBC qui, inévitablement aura un avant et un après.